Définition :

Le traumatisme par procuration OU traumatisme vicariant consiste en

« des changements profonds subis par le thérapeute ou le travailleur qui établit des rapports d’empathie avec les survivants de traumatismes et est exposé à leurs expériences » Ces effets sont cumulatifs et permanents, et ils se répercutent sur la vie tant professionnelle que personnelle du thérapeute »

On subit un traumatisme vicariant en ressentant le témoignage d’atrocités commises à l’endroit d’une autre personne. Par empathie, on voit, sent, entend, touche et ressent la même chose que la victime, en écoutant celle-ci raconter ses expériences en détail, dans le but d’atténuer sa propre douleur. Le traumatisme vicariant est la réaction physique qui se produit sur le coup lorsqu’un événement particulièrement horrible est relaté ou découvert. Il s’introduit insidieusement dans l’existence du conseiller, s’accumulant de différentes façons, produisant des changements qui sont à la fois subtils et profonds. Le traumatisme est lié à l’énergie qui se dégage de l’exposition au récit d’événements traumatiques et à la manière dont le corps et l’âme réagissent à la rage, à la douleur et au désespoir profonds. L’équilibre personnel peut être rompu temporairement ou pour une période plus longue.

« Les traumatismes (…) sont parfois tels qu’ils ne peuvent être conscientisés, assimilés, dits, verbalisés par le patient. Par un mécanisme de projection, le soignant accepte de porter la charge émotionnelle, affective, inconsciente que le patient, dans sa souffrance attribue à son thérapeute. »

« Les effets potentiels de travailler avec des survivants de traumatismes sont à distinguer de ceux observés avec d’autres catégories de patients difficiles ».

Le thérapeute est confronté à un risque de fatigue de compassion, d’épuisement professionnel, de dépression, de syndrome de burn-out ou, de traumatisme par procuration (TP).

Ce qu’on nomme  le burn-out, ou épuisement professionnel, est classiquement reconnu comme étant causé par une augmentation de la charge de travail ainsi que par des stresseurs organisationnels. Cependant, concernant les métiers de la relation d’aide, ces facteurs ne suffisent pas à expliquer le profond mal-être des professionnels.

En se basant sur la notion d’apprentissage vicariant, qui consiste à apprendre par observation, les arcanes de la souffrance particulière liée à la relation d’aide trouvaient là une certaine résonance ; le stress qui menait à cette « dépression professionnelle » avait une autre cause, non reconnue jusqu’alors : le matériel traumatique apporté par les patients.

« L’écoute n’est jamais sans effets sur l’écoutant »

Dans la notion de trauma, la question de l’expérience de mort est prédominante : ses effets délétères créent une multiplicité de comorbidités, affectant l’être entier dans ses relations à lui-même (syndrome post-traumatique : sidération, altération des fonctions cognitives, troubles de l’humeur, somatisations, insomnies, hyper vigilance, etc.) et au monde.

L’accompagnement des victimes de traumas passe essentiellement par l’écoute empathique et la relation d’aide.

Or, le discours est le porteur de l’effroi de la mort, de la désintégration de l’identité physique et/ou psychique. Ces récits traumatiques, portés par les détails sensoriels, ont des premières vertus cathartiques pour les patients.

Mais ils génèrent peu à peu des changements chez l’accompagnant ; ce qui a menacé leur vie ou leur intégrité physique ou psychique va atteindre insidieusement leurs accompagnateurs médicosociaux, au niveau cognitif, émotionnel, comportemental, relationnel et spirituel.

La vision du monde des professionnels travaillant de façon régulière avec des personnes ayant vécu un événement traumatique subit peu à peu des altérations.

Usés par le matériel traumatisant rapporté par les victimes accompagnées, les professionnels souffrent alors de ce qui est nommé traumatisme vicariant ou d’usure par compassion.

Ce concept de traumatisme vicariant, ou traumatisme secondaire, été proposé par deux psychologues, Laurie PEARLMAN et Karen SATVINE, dans les années 1990. Les principales recherches et les apports les plus conséquents sur le traumatisme vicariant sont nés de l’accompagnement des victimes de violences intrafamiliales et d’actes de torture.

Il s’agit d’un traumatisme secondaire, car si l’intervenant n’a pas vécu le traumatisme, il en ressent néanmoins les séquelles, par identification et compassion.

« Le processus de traumatisation vicariante est une violation répétée de nos convictions, valeurs et croyances. Il modifie le travail accompli par la lentille appelée « cadre de référence personnel ». » (Christine  Perreault, psychologue au Service correctionnel du Canada)

Les effets de ce « traumatisme par compassion » peuvent ressembler aux signes d’un syndrome post-traumatique ou d’une dépression. Ils ont des répercussions dans toutes les sphères de la vie du professionnel : insomnies et/ou cauchemars à  répétition, hypersensibilité, vigilance accrue, nervosité, ou au contraire repli sur soi, désinvestissement des relations menant à une déshumanisation du lien et un isolement de plus en plus dépressogène.

La littérature du psychotrauma faisait mention déjà de l’existence d’un traumatisme secondaire, quand les personnes ayant vu ou entendu le récit d’une catastrophe touchant l’un de leurs proches, présentaient elles aussi les signes d’un état de choc.

Le traumatisme vicariant porte son attention sur les professionnels de l’aide, ceux-là même qui tous les jours, entendent des récits de souffrances de victimes ou de patients, assistent aux effets quotidiens d’une maladie, vivent avec la mort imminente de l’un d’entre eux…  et doivent continuer malgré tout à aider et soutenir, avec empathie.

 

Il existe bien sûr des facteurs de risques :

–       des antécédents de violence dans la vie personnelle du professionnel

–       une fréquence élevée d’exposition aux récits de souffrance

–       peu de temps de récupération

–       peu ou pas de temps de réflexion institutionnelle (supervision et analyse des pratiques)

 

TABLEAU 1 – Effets du traumatisme vicariant sur la personne

Cognitifs • Difficulté à se concentrer • Confusion • Hébétude • Détachement • Diminution de l’estime de soi • Préoccupé par les traumatismes • Images des événements traumatiques • Apathie • Rigidité • Désorientation • Hyperactivité mentale • Pensées destructrices dirigées contre soi ou les autres • Manque de confiance en soi • Perfectionnisme • Minimisation

Émotionnels • Sentiment d’impuissance • Anxiété • Culpabilité • Culpabilité d’avoir survécu • Colère/rage • Mutisme • Torpeur • Peur • Renfermement • Tristesse • Dépression • Hypersensibilité • Alternance entre les hauts et les bas • Vidé

Comportementaux • Dépendant • Impatient • Irritable • Replié sur soi • Humeur changeante • Régression • Troubles du sommeil • Changements dans l’appétit • Cauchemars • Hypervigilance • Réactions de sursaut exagérées • Utilisation de techniques d’adaptation négatives (tabagisme, toxicomanie) • Prédisposition aux accidents • Tendance à perdre des choses • Comportements autodestructifs

Spirituels • Questionnement sur le sens de la vie • Perte de sens • Insatisfait de soi • Désespoir profond • Ennui • Colère contre Dieu • Mise en question de ses croyances religieuses

Interpersonnels • Repli social • Diminution de l’intérêt pour les relations intimes ou sexuelles • Méfiance • S’isole de ses amis • Répercussions sur le rôle parental (attitude protectrice, crainte des agressions) • Projection de la colère ou du blâme • Intolérance • Solitude

Physiques • État de choc • Transpiration • Rythme cardiaque rapide • Difficulté à respirer • Réactions somatiques • Maux et douleurs • Étourdissements • Système immunitaire affaibli Solutions individuelles 14 (Yassen, 1995)

TABLEAU 2 – Effets du traumatisme vicariant sur le fonctionnement au travail

Exécution des tâches • Diminution de la qualité • Diminution de la quantité • Motivation faible • Se dérobe à ses tâches • Commet plus d’erreurs • Perfectionniste • Obsédé par les détails

Moral • Baisse de la confiance • Perte d’intérêt • Insatisfaction • Attitude négative • Apathie • Démoralisé • Dévalorisé • Détachement • Sentiment d’incomplétude

Relations interpersonnelles • Fuit ses collègues • Impatience • Diminution de la qualité de ses relations • Difficulté à communiquer • Subsume ses propres besoins • Conflits au travail

Comportement • Absentéisme • Épuisement • Erreurs de jugement • Irritabilité • Manque de ponctualité • Irresponsabilité • Surmenage • Changements d’emploi fréquents

 

Son propre vécu émotionnel lui permet à la fois de manière contre-transférentielle d’accompagner le patient et peut, d’autre part, représenter chez le thérapeute un risque d’aggravation de son propre PTSD.

Ces « TP » « provoquent chez le thérapeute des ruptures profondes dans sa cuirasse de thérapeute, notamment au niveau de son sens de l’identité, de sa conception du monde et de sa spiritualité.

M. Delbrouck parle d’«effets psychologiques profonds qui peuvent être effractants et douloureux pour le soignant et persister pendant des mois ou des années après le travail avec ces personnes traumatisées. »

 

Des facteurs liés aux traumas peuvent perturber gravement l’équilibre psychologique des soignants de manières différentes :

  • Le contenu des affects amené par des patients PTSD peut venir intruser l’espace psychique des soignants.
  • Le danger de toute-puissance guette le soignant.
  • « Des mouvements d’identification aux situations et aux contenus vécus par les patients sont tels qu’ils provoquent chez les soignants des ruminations, des reviviscences, des rêves de scènes vécues par les patients, une hyper vigilance et une hyperactivité, un état de stress chronique qui fait évoluer ces soignants vers un état de stress post-traumatique ».
  • Un vécu de non-reconnaissance.

 

En prévention des problèmes liés au fait de traiter des patients souffrant de PTSD, les recommandations portent sur la sélection des thérapeutes du point de vue de leur personnalité et de leur formation, le marquage clair des limites et des frontières une prévention par debriefing régulier et un travail d’équipe et de supervision entre pairs.

 

Les besoins des thérapeutes

Les besoins du thérapeute représentent un point essentiel en matière de gestion du contre-transfert. Une attention particulière à la psychothérapie personnelle et à la formation pratique et théorique est indispensable.

Liste de mesures proposées :

  • Participer à des recherches visant à évaluer l’utilité des services offerts
  • Limiter le nombre de cas de violence à traiter chaque jour
  • Utiliser à tour de rôle les différents modes de thérapie ou de counselling (groupe, individuel)
  • S’obliger à faire de vraies pauses durant la journée ou le quart de travail
  • Remplir à tour de rôle les différentes fonctions, dont la présentation de conférences, la création de réseaux communautaires et la participation à des activités axées sur la justice sociale
  • Élaborer des techniques de résolution de problèmes qui permettent de déterminer si une situation est une crise, un problème ou un incident
  • Réserver des journées ou des demi-journées pour des tâches administratives
  • Rester disposé à apprendre, à changer et à accepter des défis positifs
  • Acquérir des compétences spécialisées correspondant au genre de services offerts
  • Lorsque le moment est venu de changer de travail, oser partir, et le faire avec élégance
  • Préparer des auto-évaluations périodiquement, élaborer des plans d’auto-soins et les réviser souvent
  • Se fixer des objectifs réalistes d’intervention auprès des femmes, des enfants et des hommes
  • Se renseigner sur les activités de formation (ateliers, cours, forums) et y participer
  • Participer aux sondages et aux événements axés sur la sécurité des personnes
  • Élaborer des plans de sécurité personnelle réalistes
  • Élaborer un plan de debriefing personnel
  • Utiliser des techniques de thérapie corporelle
  • Prendre soin de soi
  • Raviver ses croyances spirituelles
  • Pleurer d’abord, puis agir en vue de changer les choses

L’adoption et le maintien de pratiques efficaces d’auto-soins exigent un réel effort.

Bibliographie :

Bandura, A. (1986). Social Foundations of Thought and Action, a Social-cognitive Theory. Englewood Cliffs, NJ : Prentice Hall.

Delbrouck M, « Psychopathologie, Manuel à l’usage du médecin et du psychothérapeute », éd. De Boeck, 2013.

https://www.cairn.info/revue-savoirs-2004-5-page-9.htm

https://www.irsst.qc.ca/media/documents/fr/prev/v20_03/7-14.pdf

http://inter-stice.fr/traumatisme-vicariant-2/

http://www.jidv.com/njidv/index.php/jidv02/108-jidv-2/227-intervenants-psychosociaux-face-aux-victimes-processus-psychodynamique-de-la-traumatisation-indirecte

http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=CTF_043_0197

 


Sophie Debauche

Psychologue Clinicienne, Psychothérapeute, Formatrice et Superviseur - Responsable du Centre Thérapeutique de Luttre - Téléphone: 0476.50.19.66